Supprimer les barrières aux prestations sociales grâce au conseil par les pair-es

Schéma intitulé «Conseil par les pair-es». On y voit un pont symbolisant la suppression des obstacles grâce au conseil par les pair-es. Sous ce pont se trouvent trois portraits circulaires avec noms et fonctions: Saphir Ben Dakon, paire-conseillère bénévole au bénéfice d’une longue expérience. Uwe Bening, conseiller en réadaptation et pair-conseiller auprès de l'office AI des Grisons. Thomas Pfiffner, directeur de l'office AI des Grisons.
Schéma intitulé «Conseil par les pair-es». On y voit un pont symbolisant la suppression des obstacles grâce au conseil par les pair-es. Sous ce pont se trouvent trois portraits circulaires avec noms et fonctions: Saphir Ben Dakon, paire-conseillère bénévole au bénéfice d’une longue expérience. Uwe Bening, conseiller en réadaptation et pair-conseiller auprès de l'office AI des Grisons. Thomas Pfiffner, directeur de l'office AI des Grisons.

Les personnes en situation de handicap ou ayant vécu une maladie dépendent souvent des prestations du système de sécurité sociale pour garantir leur subsistance, mener une vie autonome et digne, et participer pleinement à la société. En tant que faitière des organisations d’entraide et d’autoreprésentation des personnes en situation de handicap en Suisse, Agile est bien consciente que l’accès à ces prestations reste semé d’embûches. Les personnes concernées se heurtent fréquemment à des obstacles complexes au sein des services sociaux. Dans ce contexte, les conseils par les pair-es jouent un rôle essentiel: ils permettent de surmonter les barrières.

Contenu

Éliminer les obstacles grâce au conseil par les pair-es

Dans le domaine social, divers moyens permettent de lever les obstacles auxquels sont confrontées les personnes en situation de handicap ou ayant vécu une maladie. L’un des plus efficaces est le conseil par les pair-es. Les pair-es sont des personnes ayant une expérience vécue – du handicap, de la maladie ou d’une crise – qu’elles ont su transformer en expertise. Elles ont développé des  stratégies pour faire face à ces situations de manière autonome, en mobilisant leurs forces, leur potentiel et leur marge de manœuvre pour mener une vie active et autodéterminée.  Formé-es spécifiquement à cet accompagnement, les pair-es mettent leur savoir et leur expérience au service d’autrui. Elles conseillent, soutiennent et accompagnent des personnes vivant des réalités similaires, tout en jouant un rôle de médiation entre les bénéficiaires et les professionnel-es des services sociaux.  Leur engagement peut prendre différentes formes: certaines exercent cette activité dans un cadre professionnel rémunéré, d’autres s’investissent bénévolement.

Le conseil par les pair-es en Suisse

En Suisse, l’approche par les pair-es s’est d’abord développée dans le domaine de la psychiatrie. Aujourd’hui, son potentiel est de plus en plus reconnu dans d’autres secteurs, notamment par les autorités chargées de l’octroi de prestations sociales, telles que l’assurance-invalidité (AI) ou l’aide sociale – même si ces initiatives restent encore rares. Un exemple pionnier en la matière est l’office AI du canton des Grisons, reconnu à l’échelle nationale pour son engagement en faveur de l’inclusion de pair-es et de conseiller-ères en rétablissement dans le domaine de l’insertion professionnelle. À Coire, cette approche axée sur le rétablissement est désormais pleinement intégrée aux équipes concernées et fait partie des pratiques d’insertion. L’office emploie actuellement deux pair-es à hauteur de 40% chacun-e.

Pourquoi le conseil par les pair-es peut-il être utile lorsqu’il s’agit de demander ou d’obtenir des prestations sociales? Quel est son impact et dans quelles conditions peut-il est-il profitable? Saphir Ben Dakon, vice-présidente d’Agile et conseillère bénévole expérimentée, répond à ces questions. Uwe Bening, conseiller en rétablissement et pair consultant à l’office AI des Grisons, et Thomas Pfiffner, directeur de l’office AI, partagent également leurs expériences, leurs conclusions et les bonnes pratiques.

Approche de rétablissement / Approche holistique: L’approche de rétablissement est un cadre en santé mentale centré sur la personne, fondé sur les droits humains et orienté vers la santé et l’autodétermination. Elle met l’accent sur les ressources, les forces et le potentiel de rétablissement de chaque individu, plutôt que sur les déficits ou les diagnostics. Elle accompagne les personnes dans leur cheminement vers une vie autonome, équilibrée et porteuse de sens. L’objectif est de renforcer la confiance en soi, la stabilité intérieure et la capacité à réguler sa propre vitalité. Dans cette perspective, le recours à des mesures coercitives devient incompatible avec une approche respectueuse des droits et du processus de rétablissement. WHO, 2021, Pro Mente Sana, 2016, Pro Mente Sana 2019).

L’approche de rétablissement permet de tirer parti de l’expérience acquise lors des processus de guérison au sein des structures de soins. Cette idée est à l’origine de la formation continue ExIn (Experienced Involvement), projet pilote européen lancé en 2006 visant à qualifier les pairs.

L’inclusion et la participation égalitaire à la société sont également au cœur de l’approche de rétablissement. Tous les êtres humains doivent se sentir acceptés et avoir le sentiment d’appartenir à la société dans leur individualité.


 

Obstacles dans le système de sécurité sociale

Préjugés sociaux

Saphir Ben Dakon a déjà accompagné de nombreuses personnes en situation de handicap dans leur vie privée. Beaucoup d’entre elles n’ont pas demandé toutes les prestations sociales auxquelles elles avaient droit. Cela s’explique notamment par le fait que les personnes en situation de handicap ressentent très tôt qu’elles ne les méritent pas. Dans les médias ou dans leur entourage privé, elles entendent ou lisent régulièrement des phrases telles que: «Qu’ils ne fassent pas les difficiles, avant, on devait payer nous-mêmes» ou «J’ai bien réussi sans aide». En tant que personne avec handicap, on est habitué à ce genre de remarques discriminantes, explique Saphir Ben Dakon, qui parle par expérience. De nombreuses personnes concernées ont le sentiment que leur handicap est leur destin. Or, le niveau personnel n’est qu’une composante de leur réalité quotidienne. De nombreuses difficultés sont causées par la société et doivent donc être abordées à ce niveau.

Méfiance envers les autorités compétentes

Selon Saphir Ben Dakon, de nombreuses personnes ne croient pas que les autorités compétentes leur apporteront réellement de l’aide. Elles craignent plutôt d’être pénalisées d’une manière ou d’une autre par le système de sécurité sociale. Par exemple, les personnes ayant besoin d’une assistance personnelle redoutent que leur allocation pour impotent-e soit réduite si elles demandent une contribution d’assistance à l’AI. Et ce, bien que l’AI soit une condition préalable à l’octroi de cette allocation, et qu’une réduction ne soit possible que si le degré d’«impotence» diminue. Une personne ne peut bénéficier d’une contribution d’assistance que si elle a besoin d’un soutien supplémentaire, et surtout plus ciblé, afin de pouvoir mener une vie autonome en hors institution.

Procédures de demande complexes

Celles et ceux qui décident finalement de demander de l’aide se heurtent souvent rapidement à d’autres obstacles. Parmi ceux-ci : les procédures de demande, souvent très complexes. Il est souvent difficile de comprendre les formulaires lorsqu’on ne dispose pas des connaissances nécessaires sur le système de sécurité sociale. Thomas Pfiffner, directeur de l’office AI des Grisons, confirme que les formulaires, les processus et le langage utilisés par les services chargés de l’octroi des prestations sociales sont très complexes – parfois même pour les spécialistes qui traitent ces questions au quotidien. L’accent est mis en priorité sur l’exhaustivité et l’exactitude juridiques, et seulement dans un second temps sur la clarté pour le grand public.

Il existe certes des services de conseil social proposés par des organisations pour personnes handicapées, qui peuvent aider à remplir les demandes, comme l’explique Thomas Pfiffner. Mais selon Saphir Ben Dakon, l’accès à ces services, surtout lorsqu’ils sont payants, reste relativement difficile: celles et ceux qui ne peuvent pas les payer doivent en faire la demande auprès des offices AI –  une démarche souvent très ardue.

Barrières au sein même des organisations pour personnes en situation de handicap

Parallèlement, certaines personnes expriment une forme de méfiance à l’égard des organisations pour personnes avec handicap. Cela s’explique notamment par le fait que les consultations sont souvent assurées par des spécialistes n’ayant pas d’expérience personnelle du handicap. Même si certaines personnes se sentent bien accompagnées – et que ces organisations varient d’un canton à l’autre – Saphir Ben Dakon dit entendre régulièrement que les personnes qui s’y adressent se sentent «prises de haut» et mises sous pression. Par exemple, lorsqu’elles ne savent pas comment demander une contribution d’assistance, on en appelle fréquemment à leur autonomie ou à leur autodétermination: on leur demande ce qu’elles ont déjà entrepris ou tenté par elles-mêmes. Ce faisant, on néglige souvent leur parcours, les épreuves qu’elles ont traversées, les autres aspects de leur vie, et les raisons pour lesquelles elles n’ont pas encore agi. C’est pourquoi Saphir Ben Dakon accompagne ces personnes, du moins au début, dans le remplissage des formulaires, afin qu’elles puissent ensuite le faire de manière autonome. Elle aborde également la question de l’autonomie ou de l’autodétermination, mais dans un esprit de respect et de valorisation, sans les rabaisser.

Problèmes de communication et manque de connaissances sur les handicaps

Dans le contexte de l’AI, les problèmes de communication sont également fréquents. Saphir Ben Dakon rapporte que des personnes présentant des handicaps invisibles – comme des handicaps cognitifs, psychosociaux ou des profils neurodivergents – lui ont confié qu’elles ne comprenaient pas leurs conseillers ou conseillères AI, alors que ces derniers ne se rendaient pas compte qu’ils n’étaient pas compris. Le personnel des offices AI manque souvent de connaissances sur le contexte de vie des personnes concernées, ainsi que de compétences spécifiques pour communiquer avec elles. De nombreuses personnes ne présentent aucun signe visible de leur handicap ou de leur maladie. Elles doivent alors sans cesse justifier et justifier leur besoin d’aide – d’autant que les conseillères et conseillers changent fréquemment, en raison d’un fort taux de rotation du personnel dans les services spécialisés, ce qui entraine une perte importante de connaissances précieuses.

Attitude envers les personnes vivant avec des handicaps psychiques

Thomas Pfiffner et Uwe Bening soulignent que les professionnel-les peuvent parfois adopter une attitude autoritaire envers les personnes qui ont recours à leurs services. Avant de rejoindre l’AI, Thomas Pfiffner travaillait dans le domaine de la psychiatrie. À son arrivée à l’AI, il a entendu certain-es collaborateurs-trices dire: «Il est psychotique» ou «C’est un cas psychiatrique». Les personnes étaient ainsi catégorisées sans nuance, toutes «mises dans le même panier». Pour lui, de telles généralisations sont inacceptables. Dix ans plus tard, il observe une évolution positive: la compréhension de la santé mentale au sein de son office AI est devenue plus nuancée et les compétences se sont accrues.

Uwe Bening, en poste depuis 2023 à l’office AI de Coire, possède une vaste expérience en tant qu’expert en rétablissement dans le domaine de la santé mentale, et de formateur dans des programmes de formation continue entre pair-es. Il rappelle que des obstacles persistent dans le contexte psychiatrique. Depuis plus de 130 ans, la psychiatrie repose sur des théories rarement remises en question, centrées sur le cerveau humain et l’idée que les troubles mentaux sont des déséquilibres métaboliques cérébraux pouvant être régulés par des médicaments. Et ce, malgré des preuves croissantes montrant que d’autres facteurs – sociaux, environnementaux, relationnels – ont une influence bien plus déterminante sur le psychisme humain. Cette vision biomédicale reste dominante. Le corps médical cherche souvent à ce que les personnes «fonctionnent» à nouveau, sans toujours prendre en compte les interactions complexes qui provoquent et entretiennent les déséquilibres.

Défis dans le contexte psychiatrique

De nombreuses personnes en situation d’instabilité psychique se sentent à la merci des psychiatres. On entend souvent cette phrase: «Je ne dis pas à mon psychiatre comment je vais vraiment». Selon Thomas Pfiffner, qui a travaillé pendant des années comme infirmier en psychiatrie, les personnes concernées craignent souvent que les psychiatres modifient leur traitement médicamenteux ou prennent d’autres décisions à leur place. Uwe Bening souligne que de nombreuses personnes ayant traversé une crise ont également le sentiment d’être soumises à une autorité. Au lieu d’être valorisées et écoutées, elles se sentent humiliées, rabaissées, et dépassent parfois leurs propres limites. Par ailleurs, beaucoup ont déjà vécu – y compris dans leur sphère privée – des expériences négatives avec des figures d’autorité ou des situations de transgression. Ces vécus laissent des traces et créent des schémas, comme le sentiment d’impuissance, qui peuvent se réactiver plus tard, notamment dans un cadre professionnel, et qu’il est essentiel de déconstruire. Les traitements médicamenteux visent à atténuer les symptômes, mais ils entraînent souvent des effets secondaires indésirables ou déstabilisants.

Les nombreux potentiels du conseil par les pair-es

Dans ce contexte, le conseil par les pair-es intervient à différents niveaux. Saphir Ben Dakon, paire conseillère, accompagne des personnes en situation de handicap et/ou atteintes de maladies, souvent confrontées à un sentiment d’impuissance face à leur quotidien. Son objectif est de les aider à retrouver une stabilité personnelle, condition essentielle pour qu’elles puissent s’autonomiser. Le but est de leur permettre de construire un projet de vie durable dans un environnement favorable. Il est crucial qu’elles développent la conviction intérieure d’être capables de gérer leur situation, d’atteindre leurs objectifs et de réaliser leurs aspirations – en d’autres termes, qu’elles prennent conscience de leur propre pouvoir d’agir.

Reconnaître sa propre marge de manœuvre

Sur le plan social, de nombreux obstacles et limites échappent au contrôle des personnes concernées. En tant que personne en situation de handicap, Saphir Ben Dakon insiste sur l’importance de reconnaitre ces contraintes pour mieux identifier les espaces de liberté et d’action. Même si cette marge de manœuvre est parfois réduite, elle reste précieuse. L’une des façons de l’élargir consiste à solliciter des aides publiques, à demander des moyens auxiliaires ou une assistance personnelle. Forte de son expérience, Saphir Ben Dakon sait qu’il faut souvent un encouragement externe pour oser franchir le pas, remplir les formulaires et faire valoir ses droits. Elle rencontre régulièrement des personnes qui auraient pu bénéficier d’un soutien depuis des années, sans le savoir. C’est grâce au conseil par les pair-es qu’elles ont pu prendre conscience de leurs droits et passer à l’action. Les paires-conseillères et pairs-conseillers jouent ainsi un rôle de passerelle entre la réalité quotidienne des personnes concernées et un système social souvent complexe, opaque et source de méfiance.

Instaurer la confiance grâce au conseil par les pair-es

Uwe Bening et Thomas Pfiffner le confirment: de nombreuses personnes se méfient de l’AI ou en ont peur, ce qui freine leur accès à l’aide dont elles ont besoin. Or, les personnes ayant vécu des bouleversements dans leur vie devraient pouvoir compter sur l’AI pour bénéficier d’un minimum de sécurité financière et d’un accompagnement vers une situation plus stable. À Coire, les conseillères et conseillers en rétablissement et les pair-es jouent un rôle clé: ils et elles aident les assuré-es à comprendre qu’ils et elles ne sont pas sans défense face aux autorités, y compris l’AI. L’expérience montre que les personnes accompagnées par des pair-es s’ouvrent plus facilement, reprennent confiance, se projettent à nouveau dans l’avenir et sont en mesure d’agir.

Mettre l'accent sur les aspects positifs et l'efficacité personnelle

Selon le contexte de la personne, les parcours et les méthodes peuvent varier. Uwe Bening, psychologue ayant une expérience en psychiatrie, rapporte que certaines personnes ont vu leur situation se détériorer après avoir reçu un diagnostic psychiatrique et une prescription de médicaments. Pour beaucoup, un diagnostic est perçu comme une stigmatisation. Le message est ressenti comme: «tu ne fonctionnes plus correctement, tu n’es pas normal». À l’inverse, le conseil en rétablissement et le conseil par les pair-es mettent en lumière les forces et les ressources de la personne. Il s’agit de valoriser l’individu, de le respecter et de lui montrer comment interagissent perception, émotions et pensée.
Le but est de l’aider à retrouver un équilibre après une période de stress intense, de pression ou de pensées envahissantes («je dois, je dois…»). Les personnes accompagnées par Uwe Bening apprennent à reconnaître les impulsions qu’elles peuvent se donner à elles-mêmes. Elles découvrent, par exemple, comment poser des limites claires pour éviter qu’elles ne soient constamment franchies. Elles prennent également conscience des possibilités qui s’offrent à elles en matière de choix, de participation et d’action, ainsi que des responsabilités qu’elles peuvent assumer dans leur propre processus de rétablissement.

Impulsions positives pour de nouvelles voies

Le conseil par les pairs peut aussi jouer un rôle de déclencheur: il peut inciter une personne à tenter quelque chose de nouveau, par exemple lorsqu’elle n’ose pas se confier à son médecin ou lorsqu’une thérapie ne donne pas les résultats escomptés. Selon Thomas Pfiffner, cela représente une réelle valeur ajoutée pour l’AI, qui a tout intérêt à ce que les assuré-es bénéficient d’un accompagnement efficace, afin de favoriser leur retour à une activité professionnelle ou sociale.

Les retours des personnes ayant bénéficié d’un accompagnement par les pair-es sont unanimement positifs, comme le confirment toutes les personnes interrogées. Fort de son expérience en tant que de directeur d’une clinique psychiatrique, Thomas Pfiffner rapporte que plusieurs patient-es lui ont confié: «La discussion avec ma paire-conseillère ou mon pair-conseiller m’a plus aidé que celle avec mon psychiatre.»

Valeur ajoutée pour les services spécialisés et les professionnel-les

Les services qui octroient des prestations sociales ou travaillent à la réinsertion ont aussi recours au conseil par les pair-es. Saphir Ben Dakon souligne l’importance des passerelles ainsi crées entre les personnes concernées et les professionnel-les, qui ne disposent pas toujours de l’expérience nécessaire. Ces échanges permettent aux professionnel-les de mieux comprendre les préoccupations des personnes accompagnées, de communiquer plus directement avec elles, et ainsi de gagner en efficacité sans perte d’information.

Développement de l’office AI

Au sein de l’office AI des Grisons, l’intégration du travail entre pair-es et l’approche axée sur le rétablissement ont non seulement favorisé le développement professionnel des conseillères et conseillers en réadaptation, mais ont aussi entrainé un véritable changement d’attitude. La culture d’entreprise a évolué: l’empathie envers les personnes assurées s’est renforcée, et les collaborateurs et collaboratrices sont désormais plus conscient-es de l’impact de leur travail. Ils et elles adoptent une posture plus réflexive, analysent leur pratique avec davantage d’autocritique et abordent les situations des assuré-es avec plus de nuance. Ce personnel a également acquis un savoir-faire considérable, qui se reflète dans la qualité et la pertinence de ses décisions. Cela ne signifie pas « être plus généreux » que d’autres offices AI: les mêmes bases légales sont appliquées, mais avec davantage de créativité dans leur mise en œuvre.

À Coire, les connaissances des conseillères et des conseillers en rétablissement et des pair-es sont également valorisées au niveau de la direction. Elles sont intégrées dans le développement des structures, des processus et des concepts. Par ailleurs, les pair-es ont déjà conseillé des employeurs sur la manière de soutenir des collaborateurs et collaboratrices confronté-es à des troubles psychiques – une offre qui suscite un vif intérêt et qui devrait être développée davantage.

Le conseil par les pair-es ne fonctionne que sous certaines conditions

Le conseil par les pair-es peut jouer un rôle précieux à plusieurs niveaux: il contribue à surmonter des obstacles, à renforcer l’autonomie des personnes concernées et à faire évoluer les pratiques. Et pourtant, en Suisse, cette approche reste encore marginale, en particulier en dehors du champ de la psychiatrie. Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette situation. Le travail entre pair-es est exigeant et nécessite des conditions claires pour être mis en œuvre de manière professionnelle. Les paires-conseillères et les pairs-conseillers doivent suivre une formation continue rigoureuse et pouvoir prendre du recul sur leur propre parcours et leur posture. Leur rôle ne se limite pas à apporter un soutien ponctuel: il s’agit d’accompagner les personnes dans un véritable processus de changement, en les aidant à retrouver confiance, à identifier leurs ressources et à reprendre le pouvoir sur leur vie.

Limites du conseil entre pair-es

Pour Saphir Ben Dakon, il est essentiel que les pair-es-conseillères et pairs-conseillers aient une conscience éclairée de leurs compétences, mais aussi de leurs limites. Il ne s’agit pas d’imposer son propre cadre de référence ou sa vision du monde à la personne accompagnée. Un travail de réflexion personnelle est indispensable: les pair-es doivent pouvoir reconnaitre, interroger et intégrer leurs propres expériences traumatiques. Il est crucial de ne pas chercher à résoudre ses propres blessures à travers l’autre. Le risque serait alors de projeter son vécu sur la personne accompagnée, en pensant avoir trouvé une «compagne ou compagnon d’infortune» qui partage exactement la même vision. Cela pourrait créer des relations de dépendance, qu’il convient à tout prix d’éviter dans une démarche d’accompagnement fondée sur l’autonomie et la responsabilisation.

Conseil par les pair-es: consultation sociale, accompagnement et médiation

Dans un contexte professionnel, le potentiel du conseil par les pair-es n’est pas toujours immédiatement identifié. Selon Thomas Pfiffner, l’intégration de pairs-conseillers et paires conseillères suscite parfois des réticences de la part d’autres groupes professionnel-les. On craint par exemple une surcharge de travail ou une intrusion dans leur champ de compétences – des craintes qui, dans la pratique, s’avèrent généralement infondées. Ces appréhensions sont souvent renforcées par un manque de clarté autour des rôles et des profils d’exigences des pair-es. C’est pourquoi Saphir Ben Dakon insiste sur l’importance de définir et de communiquer clairement les limites du conseil par les pair-es: ils et elles ne dispensent ni traitement psychiatrique ni conseil médical. Leur rôle se situe dans le champ de la consultation sociale, de l’accompagnement et de la médiation. Lorsque d’autres thématiques émergent, ce sont les spécialistes qui prennent le relais. Cette clarification des rôles est également essentielle pour Thomas Pfiffner. Les paires-conseillères et pairs-conseillers ne remplacent pas les professionnel-les en place, mais complètent les équipes en apportant une perspective unique fondée sur le vécu. Ces personnes constituent ainsi un groupe professionnel à part entière, sans remettre en cause la légitimité ou la place des autres professions.

Comment promouvoir davantage le conseil par les pair-es?

Même si le recours à des pair-es ne permet pas de lever tous les obstacles et que des efforts supplémentaires sont nécessaires au niveau politique et administratif pour faciliter l’accès et l’obtention des prestations sociales, le travail entre pair-es semble offrir un potentiel considérable pour le système social. Il reste toutefois peu répandu, bien que la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées (CDPH) encourage, dans son article 26, la promotion du soutien par les pair-es.

Changement d’attitude et de paradigme

Lors des entretiens, les pair-es expert-es ont souligné plusieurs mesures nécessaires pour favoriser une approche fondée sur la résilience. Avant tout, cela implique un changement d’attitude et de paradigme: il s’agit de passer d’une vision déficitaire à une compréhension ouverte de l’instabilité psychique comme phénomène vivant. Autrement dit, l’instabilité psychique ne doit plus être perçue comme un déficit figé ou irréversible, mais comme une réalité naturelle, dynamique et récurrente. Cette perspective permet d’aborder les situations avec plus d’empathie et de souplesse, en valorisant les ressources et les capacités d’adaptation des personnes concernées. Il est aussi essentiel de mieux faire connaître le potentiel de l’approche par les pair-es. Les prestataires devraient communiquer de manière plus explicite sur ce qui constitue «l’essence» du travail pair-e à-pair-e, ainsi que sur les contextes dans lesquels cette approche peut s’avérer particulièrement utile. Enfin, le personnel des administrations communales et cantonales,  souvent confrontés à une surcharge chronique, devraient pouvoir accéder rapidement à des informations claires et concrètes sur les bénéfices que le conseil par les pair-es peut leur apporter dans leur pratique quotidienne.

Vérifier l'efficacité du conseil par les pair-es

Il serait également important de renforcer l’évaluation de l’efficacité du travail entre pair-es afin de mieux mettre son utilité en évidence. Cela pourrait aussi contribuer à instituer l’approche par les pair-es.

Professionnaliser le conseil par les pair-es et améliorer leur formation

La nécessité d’une professionnalisation accrue ainsi que la mise en place d’une assurance qualité ont également été évoquées. Les formations actuelles pour les pair-es offrent certes une bonne entrée dans l’activité et sont relativement accessibles. Toutefois, il serait souhaitable d’établir des normes claires et de proposer des opportunités de qualification supplémentaires, afin que l’activité des pair-es soit pleinement reconnue comme une profession à part entière. Selon Saphir Ben Dakon, il conviendrait aussi de décloisonner les formations destinées aux personnes vivant avec des troubles psychiques et celles destinées aux personnes vivant avec un autre type de handicap. En effet, les personnes vivant avec un handicap physique ou autre sont souvent confrontées à un stress psychologique important au cours de leur vie, ce qui peut entraîner des troubles psychiques qui, malheureusement, sont souvent détectés trop tard. Il serait donc pertinent que les formations de pair-es intègrent une approche plus inclusive, couvrant différentes formes de handicaps et de maladies, afin de mieux répondre à la diversité des parcours et des besoins.

Financement

Enfin, la question du financement se pose également: les prestataires de consultations par les pair-es disposent souvent de ressources humaines et financières très limitées, en particulier lorsque leur activité est exercée en dehors des structures psychiatriques ambulatoires ou stationnaires. Pour remédier à cette situation, des adaptations légales seraient nécessaires.

Conclusion

L’implication de personnes ayant elles-mêmes vécu un handicap dans le conseil et le soutien d’autres personnes concernées recèle un potentiel considérable. Grâce à leur expérience vécue et réfléchie, enrichie de compétences professionnelles, les paires-conseillères et pairs-conseillers jouent un rôle de médiation précieux entre les personnes en situation de handicap et les professionnel-les. Cette approche favorise non seulement une meilleure compréhension mutuelle et un accompagnement mieux adapté, mais elle renforce également la confiance en soi et l’autonomie des personnes concernées.

Les retours positifs issus de la pratique, comme l’exemple de l’office AI des Grisons, illustrent concrètement les bénéfices du conseil par les pair-es. Cependant, plusieurs défis restent à relever: la nécessité d’une professionnalisation accrue, la mise en place de mécanismes d’assurance qualité, ainsi que la garantie d’un financement durable.

Pour que cette méthode de soutien puisse pleinement déployer son potentiel, un changement d’attitude et de paradigme est indispensable, tout comme un suivi rigoureux de son efficacité. Ce n’est qu’à ces conditions que le conseil par les pair-es pourra contribuer durablement à l’inclusion et à la participation active des personnes en situation de handicap dans la société.

Liens vers le conseil par les pair-es

Trouver un accompagnement par les pair-es:

Soutien aux professionnel-les:

  • Re-pairs Peer und team support (Canton de Vaud) (soutien aux professionnel-les qui souhaitent développer un projet autour du soutien professionnel par les pair-es)

Formation initiale/continue par les pair-es:

Embaucher des pair-es:

Informations sur les offres entre pair-es:

Recovery-Colleges:

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