Ces mots qui alimentent le validisme
Les termes utilisés pour désigner les personnes avec handicap ou pour déterminer leur droit aux prestations sociales font partie intégrante des discriminations sur lesquelles se fonde le validisme. Depuis longtemps déjà, les organisations de personnes avec handicap critiquent cette discrimination linguistique à différents niveaux.
Avec sa brochure «Les mots sont trompeurs» éditée en 2016 (2017 en français), Agile entendait lutter contre les discriminations linguistiques et promouvoir un langage respectueux envers les personnes en situation de handicap. On ne dit pas invalide ou cas AI, on ne traite personne de mongol·e, de nain·e ou de sourd·e-muet·te. Cette brochure a connu un franc succès auprès du public, notamment en milieu scolaire, ce qui traduit une prise de conscience et un souci d’évolution, autrement dit: les germes d’un autre regard porté sur le handicap. En d’autres termes, la conception du handicap est en train d’évoluer.
L’usage d’un langage non discriminatoire est une manière de lutter contre les discriminations et les préjugés envers les personnes handicapées.
Entre-temps, certains médias comme la Radio Télévision Suisse se sont dotés de chartes de langage inclusif, mais d’autres utilisent hélas toujours les termes de handicapé·e ou d’invalide. Mais comme il a fallu du temps pour bannir les «têtes de nègres» de notre langage courant, il n’en faudra pas moins pour éliminer les termes de débile ou d’invalide, qui vont jusqu’à faire partie du vocabulaire d’injures.
Terminologie et législation
Lors des débats parlementaires qui ont précédé l’introduction de l’assurance-invalidité durant les années 50, on parlait non seulement d’invalides, mais d’infirmes, d’arriéré-es, d’estropié-es, d’anormaux et de débiles mentaux. On constate donc que la terminologie a heureusement évolué en quelques décennies, mais les mots dégradants subsistent et il conviendrait de les éliminer de la législation une fois pour toutes.
C’est ce qu’a tenté de faire la Conseillère nationale Marianne Streiff-Feller − présidente d’INSOS Suisse − par le biais d’une motion déposée en 2016 «Lutter contre la discrimination linguistique des personnes handicapées». Madame Streiff-Feller demandait de lutter contre la discrimination linguistique des personnes handicapées en rempla- çant dans la Loi sur l’assurance-invalidité (LAI) le terme d’invalide par personne en situation de handicap. Sensible à la question, le Conseil fédéral a toutefois choisi de maintenir le statu quo, craignant de devoir modifier de nombreuses lois fédérales, y compris la Constitution. Or, cela nécessiterait un vote populaire.
En 2020 cependant, dans la foulée de la 7e révision de l’AI, le Conseil fédéral a accepté un postulat de la Commission de la sécurité sociale et de la santé pu- blique du Conseil des États (CSSS-E), demandant une modernisation de la LAI sur le plan linguistique. À noter que ce postulat vise plus particulièrement les termes de rente pour enfants et d’invalidité. Le gouvernement s’est donc engagé à procéder à un inventaire de tous les termes problématiques.
Invalidité, infirmité, impotence: les 3 i à bannir
En 2016, pour appuyer de manière constructive la motion Streiff-Feller, Inclusion Handicap et Agile ont constitué un groupe de travail pour réfléchir aux alternatives à certains termes dévalorisants dans la législation helvétique.
Si le terme d’invalide pose en effet problème, il n’est pas le seul. Impotent-e par exemple, est synonyme de paralytique, d’infirme, de sénile, d’inerte. Quant au mot infirmité, il traduit l’impuissance, la malformation, la débilité.
En d’autres termes …
Dans la Loi sur la partie générale du droit des assurances sociales (LPGA), l’invalidité est définie comme «incapacité de gain totale ou partielle qui est présumée permanente ou de longue durée». Régie par la LPGA, l’AI calcule donc logiquement le taux d’invalidité des assuré-es non pas sur la base du niveau d’incapacité physique ou psychique de la personne concernée, mais sur sa soi-disant incapacité résiduelle de travailler et de réaliser un revenu.
Le système est donc basé sur la normalité (les personnes qui travaillent), et l’anormalité (les gens qui ne travaillent pas).
Ce paradigme doit absolument changer et ce changement passe immanquablement par une révision terminologique de la législation.
Dès lors, le groupe de travail susmentionné a proposé de remplacer le terme d’invalidité par diminution de la capacité de gain. Autres exemples: la Loi sur l’assurance-invalidité pourrait s’appeler loi sur l’assurance des personnes avec handicap. Plutôt que d’impotence, on devrait parler de besoin d’assistance et l’allocation pour impotent-e devrait s’appeler allocation d’assistance, ce qui correspondrait à la définition de la LPGA. Quant aux infirmités congénitales, le groupe de travail propose d’utiliser le terme de maladies présentes à la naissance. Non seulement ces termes seraient moins discriminatoires et péjoratifs pour les personnes concernées, mais ils correspondraient mieux à leur réalité.
Passons de la parole aux actes
La mise en œuvre la Convention de l’ONU relative aux droits des personnes handicapées (CDPH) et la promotion de l’inclusion passent inévitablement par la lutte contre le capacitisme. C’est la seule manière de gommer l’image négative renvoyée par les personnes en situation de handicap, à plus forte raison si elles n’ont pas d’activité lucrative. Le travail de sensibilisation mené par les organisations de personnes handicapées est certes important, mais la suppression des discriminations linguistiques dans la législation est incontournable, notamment dans le domaine des assurances sociales. Et cette décision doit être prise au niveau parlementaire.